la Belle Nuit
texte écrit le 16 août 2020, entre 20h et 21h, lors de la Belle Nuit, en même temps qu'avaient lieux 7 performances dans 7 villages de haute-marne, à l'issue d'un workshop réunissant 17 artistes et habitants entre le 12 et le 16 août, à SIMONE.
19h40, Une vache vêle
aux pieds du piano, dans la ferme
un être vient au monde en musique
Ailleurs, la rivière est sèche
Je suis le lichen, et je vous attends
C’est probable qu’il pleuve
Imminence
Vont-ils venir ?
Cela aura-t-il lieu ?
19h46 le petit veau est né
Être là où à lieu une naissance
Les oiseaux de papiers volent au vent dans les cabanes et les oies traversent la cour
Les ragondins cherchent les ragondines
Le ciel est noir d’orage
Lire les signes de menace, tendre des fils bleus
au delà des perspectives
Là-bas, le bruit du métal qu’on découpe, du plâtre sur la peau de l’homme qui se cherche
Faire baisser le niveau énergétique, remettre de l’eau dans la rivière
Ouvrir une grille, puis demander qu’on la ferme
Se laver les mains
Accompagner ceux qui se lavent les mains, et gardent leur distance
Ça nous rend docile en silence
Le territoire marque les distances. Il y a mille raisons de vouloir ou de devoir marquer les distances.
C’est cohérent
S’assoir
Habiter des fragiles cabanes de mots
Faire un sablier avec de l’eau
Vocaliser, tisser l’air, habiller l’espace avec du son
Marcher
Il ne s’agit pas d’être près des autres, mais d’être au bon endroit.
Les cannes à pêche attendent des oreilles pour leur chuchoter des mots d’oiseaux au bord de la rivière
Les bottes de pailles se reflètent dans le piano à queue
La lumière est belle
C’est l’heure
Le temps devient l’espace commun
Un petit veau est né et rejoint les oiseaux, les poissons, les alvins, les vaches, les guêpes sur notre terre commune
Se mettre à l’abri d’un territoire chanté par d’autres pour être sûr à un moment ou à un autre d’être retrouvé par les siens
S’arrêter, écouter, écouter encore
Accoucher soi-même
Tentative improbable d’améliorer l’homme
Lucie et Lucie sont là
S’adaptant au terrain – ou peut-être créant le terrain ?
Les petites boites en verre vibrent d’une forme de joie diffuse
Les cabanes sont en carton, en metal, en écorce
Dans la rivière les mobiles oiseaux flottent au dessus l’eau qui n’est plus là.
Il faut toujours regarder des deux côtés de la rive, et se tenir au centre
Sortir du territoire et y revenir.
Et dans le film, à la fin, l’oiseau ressuscite
Il ne s’agit pas d’être près des autres, mais d’être au bon endroit.
On entend la voix d’Emy, mais est-ce qu’on la voit ?
Est-ce que le son rend la présence ?
Est-ce que l’absence rend la présence plus forte ?
Dans la rivière, les voix descendent dans les grottes, et frémissent à la surface
Rhizome et canopée
Traverser des seuils, des grilles, des ponts, des façades
Contrer les attentes
Chercher les mots sous les cailloux, le long des cascades qui descendent du ciel – du pis de la vache, dans la ferraille, les décombres
Dans la matière première de demain
Découper les ouvertures dans la matière
Changer de visage
Avec le son, je fais une distance
Ralentir, laisser passer un peu d’air et se laisser aller à imaginer.
Doute hasard recherche
Je veux être une courge parmi les courges
Dans le silence, trouver le bruit
Derrière le piano, le chant
Derrière le chant, le meuglement
On cherche à faire un homme qui tient debout, qui peut entendre, voir, respirer, se souvenir.
On veut faire entendre la rivière comme si elle était là, avec les baleines
Même s’il y a de l’herbe, et qu’on ne voit pas qu’il y a de l’herbe
Compter en minutes
Promener le chien
Manger des pâtes fraîches
Être avec l’odeur de la terre et de la paille mouillées
– Les oies observent
Quelques guêpes sont tapies dans l’herbe et les petits arbres dans la paille se souviennent du veau qui vient de naître
fragilité partout, puissance partout
Au milieu de l’eau, accroché à une plume, le son du piano, et de la ferme
Tu t’assois dans la cabane rouge, tu mets un casque, et tu es ailleurs
Il ne s’agit pas d’être près des autres...
Les flaques d’eau attirent les guêpes et les hommes
Tu t’assois dans la cabane bleue, tu saisis le tuyau pour le mettre contre ton oreille, et au pied du mur, tu entends une voix
Il y a des mots partout ce soir
Comme une pluie rafraîchissante
ici, maintenant, se passe et se crée quelque chose d’important.
Faire un territoire, c’est créer des modes d’attention.
L’orage gronde
faire attention à la manière dont les oiseaux font attention les uns aux autres.
Et aimer la pluie qui rempli les rivières
Quoiqu’il arrive et malgré nous
Ici, maintenant
La nuit est comme elle est
naissante et fraîche,
lavée, neuve, vibrante.
La nuit est prête
La nuit est belle