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Ancestralités

Trames hybrides et autres récits


"chacun de nous est fait de bien plus d’imprévisible que de probable." Jean-Claude Ameisen – la sculpture du vivant


Chaque organisme a le pouvoir de changer le monde des autres. Des bactéries sont à la base de l’oxygène présent dans notre atmosphère et des plantes participent à son maintien. Des plantes poussent dans la terre parce que des champignons l’enrichissent grâce à leur faculté de digérer les pierres. Anna Lowenhaupt Tsing – Le champignon de la fin du monde



UN LIVRE À PARAÎTRE EN 2023


Si l’on part du principe que, depuis les années 80, toute tentative autobiographique recouvre désormais consciemment une entreprise autofictionnelle, c’est-à-dire qu’on sait que faire le récit de son existence, suppose de mentir vrai, on sait aussi qu’écrire sur soi est nécessairement une mise en scène. Est-ce réversible ? Est-ce que toute mise en scène de soi est une autofiction assumée ou implicite ? Ou existe-t-il un point où, à force de fictions, on fait disparaître et la fiction, et la mise en scène ? Que reste-t-il alors ? Il n’est pas difficile de penser que n’a de réalité pour l’homme que ce qui est mis en récit ; les mythes, les publicités, les théories qui prennent forme - en dépit de toutes concordances avec du réel - dans des discours politiques, l’histoire, les rancoeurs tenaces, les souvenirs, etc. Des voix s’élèvent aujourd’hui pour donner une place aux vivants non-humains dans nos réalités, et donc dans nos récits et fictions. De Donna Harraway à Vinciane Despret, c’est comme si tout un monde, animal, végétal, minéral, se pressait au portillon pour avoir enfin voix au chapitre de la fiction, et que l’on accède à la possibilité de voir le monde depuis le poulpe, la mésange ou l’araignée, et non plus seulement depuis des figures humaines. Il s’agit d’une puissante et régénérante recomposition du monde, ni plus, ni moins. Si l'on pousse la logique au bout, deux pistes se dégagent : 1/ Chaque être humain est un monde en soi, animal, minéral, végétal, humain. Il s’agit de trouver en chacun ces composantes irréductibles, qui configureront le récit. Trouver les alliances, les alliages de ce microcosme qui le font être aussi femme-mousse, homme-crocodile ou enfant-muguet.

2/ Chaque être est habité d’autres mondes. Faire le récit d’un être humain, c’est aussi faire le récit des bactéries, virus, champignons, dont il est l’hôte et le monde. C’est rendre voix au vivant qui anime et maintient en vie chaque vivant visible – celui qui est assis sur la chaise du spectateur, celui qui fait ses courses, celle qui mange, rit, pleure...

Qu'en est-il des morts ? Quelle place donner aux anciens vivants ? Est-ce qu’ils rejoignent la catégorie des vivants non-humains, dans la mesure où ils sont invisibles ? Dans notre partie du monde, de la même manière qu’on a figé le rapport et le récit entre culture et nature, on a figé celui entre morts et vivants, visible et invisible. On considère qu’il y a une séparation irréductible entre ces états. On considère aussi que la mémoire, comme les émotions, appartient à chacun. Qu’elle est logée, encodée, quelque part dans le cerveau. Que se passe-t-il si l’on se raconte que la mémoire, en fait, est à l’extérieur de chacun de nous, et constitue un grand bain d’informations auquel nous nous relions ou non ? Qu'elle est une affaire de chemin à construire, arpenter, défricher, oublier, redécouvrir ? Je me demande comment une cellule se trouvant à la bordure d’une artère sait si elle doit devenir artère ou sang. Comment sait-elle où doit s’arrêter un organe ? A l’échelle d’une cellule, ces choix – s’ils en sont – ne sont-ils pas aussi importants que les nôtres ? Ne conditionnent-ils pas tout autant notre existence que la décision de l’un ou l’autre de nos aïeux de vendre ou d’acheter une terre, d’envoyer ses fils en pension ou de cacher un viol ? Ancestralités est né du joyeux chaos de ces questions, et l’entreprise qui a lieu ici est une mise en scène qui cherche à pulvériser le récit de soi en fabriquant des récits multiples, comme on allume des contrefeux. Les histoires sont des tamis ; ce qui subsiste est hors. Merci à celles et ceux, vivants ou morts, qui se sont prêtés au jeu, et continueront de le faire.

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